À mon avis chaque personne doit pour elle-même d'une manière ou d'une autre et dans un ordre ou un autre procéder par des étapes équivalentes à celles de ma théologie de l'initiation au savoir biblique : recevoir d'abord chaque livre de la Bible comme un témoignage ancien; puis, lire chaque auteur et décider si on leur fait ou non confiance; s'interroger ensuite sur ce que cela implique concernant les Écritures comme Parole de Dieu et source de vérité spirituelle; peu à peu l'on finit ou non par faire confiance à cette source de savoir; un « croire » ou un « non croire » est en cause à chacune des étapes.
L'idée centrale de cette théologie de l'initiation au savoir biblique est de ne pas imposer à qui que ce soit une posture de foi en la Bible avant que la personne elle-même en soit venue à ses propres conclusions concernant la nature des textes bibliques. Je ne dis pas ici que ceux qui fréquentent la Bible doivent s'abstenir de présenter ce qu'elle dit être à ceux qui débutent leur démarche. Ce que je dis par contre est que ceux qui croient déjà connaître la Bible et qui pensent avoir établi une relation de confiance avec son Auteur ne doivent pas refléter aux débutants que s'ils ne comprennent pas, c'est qu'ils ne croient pas. Il importe d'admettre sans la nier la part de doute présente chez les autres ou en nous dans l'acte de lecture de la Bible et dans l'effort d'appropriation de ce qu'elle atteste sur la Vie.
Cette approche s'inscrit dans la même ligne de pensée que ce que j'ai découvert en réfléchissant à ma posture face au savoir en général comparé au savoir biblique. Je me suis rendu compte que ma démarche pour comprendre n'importe quoi ressemblait beaucoup à ma démarche pour comprendre la Bible et qu'à la base des deux formes d'exploration il y a un acte de confiance. Tel auteur de n'importe quel livre me semble crédible, je le crois, tout comme je crois l'apôtre Jean lorsqu'il dit avoir entendu Jésus, l'avoir vu, lui avoir touché. Nous dirons d'un auteur qu'il nous inspire confiance, parce que nous en avons lu quelques pages et que ce qu'il écrit semble en accord avec ce que nous avons expérimenté dans notre vie, ou avec ce que nous avons lu ailleurs et qui nous a aidés à progresser dans un domaine ou l'autre. Ce genre de confiance ou de « croire » me paraît être un fondement du savoir applicable à tout acte de lecture dont à la Bible.
Ce principe est le même que celui qui entre en cause dans la confiance que nous accordons aux conseils que nous donne une personne que nous reconnaissons comme compétente dans des domaines pratiques comme la préparation d'un repas, la confection d'un vêtement ou la reconfiguration d'un ordinateur qui a cessé de fonctionner. Nous n'écoutons pas n'importe qui nous dire n'importe quoi. Nous évaluons chaque conseil donné en fonction du degré de confiance que nous accordons à celui qui nous le donne quant au domaine d'expertise en cause tout en tenant compte de notre propre expérience.
S'il y a par rapport aux textes bibliques une dimension qui ne relève pas de l'humain et qui est à proprement parler le travail de l'Esprit, l'on ne saurait court-circuiter la dimension inévitablement humaine de la compréhension. Nul ne peut faire à la place de Dieu le travail qui appartient à l'Esprit dans l'accueil fait aux Écritures saintes. De la même manière, nul ne peut faire à la place d'autrui le travail exigé pour comprendre ce que disent les auteurs des textes bibliques. Ce travail passe nécessairement par la lecture individuelle des textes bibliques eux-mêmes tels qu'on les trouve dans les traductions en français ou dans les autres langues contemporaines disponibles partout aujourd'hui. Ces deux dimensions ensemble constituent ce que j'appelle une théologie et une anthropologie de l'initiation au savoir biblique. La première relève de l'Esprit de Dieu, la seconde appartient à l'être humain dont c'est la responsabilité de sonder les Écritures, c'est-à-dire de les lire et de s'efforcer de les comprendre en s'interrogeant sur elles et en demandant à Dieu de l'éclairer dans sa lecture et dans sa compréhension de celles-ci.
Quelques questions à se poser :
Tiré de Comment donc comprendre la Bible aujourd'hui ?, p. 69-70; aussi accessible sur Que penser de la Bible ?.