Quel est, exprimé succinctement, le noyau dur de la spiritualité chrétienne sinon l'Esprit de Christ qui habite en celui qui croit ? Lorsqu'une personne fait passer sa lecture de la Bible par son centre propre, elle s'approprie ce qu'elle lit tenant compte des expériences vécues qui sont siennes, mais aussi de sa communauté de foi et des enseignements chrétiens auxquels elle est exposée.
Le point de départ de la spiritualité chrétienne est Christ, Lui-même révélation ultime de Dieu aux hommes. Le Christ qui habite en nous par son Esprit produit une liberté d'être et de faire elle-même ultime et sans égal. Le Christ par qui tout subsiste, le Christ, origine de tout être dont moi, source de bien à laquelle s'alimente le mal lui-même comme la rouille s'alimente du fer par ailleurs sain sans lequel elle n'aurait pas d'existence (cette image est empruntée à Paul Tilich).
Le Christ est Celui qui, par son Esprit, s'interpose entre toute forme de réalité et moi, entre toute relation interpersonnelle et moi, entre toute forme d'engagement et moi. Il s'interpose, par l'Esprit de liberté qui habite en moi, cette part même de Dieu qui s'est installée en moi lorsque son appel fut scellé, par des voies fort mystérieuses qui intègrent ma propre réponse en obéissance et en confiance, cette foi en action, ce fruit préparé d'avance pour que nous le produisions.
Le Christ réside en moi par son Esprit. Son Esprit naît en moi à la régénération. L'Esprit de Christ produit la liberté, nous dit 2 Corinthiens 3 v. 17. L'Esprit de Christ qui réside en moi rend témoignage à mon esprit que je suis enfant de Dieu, précise Romains 8:16. Cet Esprit ne me fait-il pas aussi signe de par l'intérieur même de mon être quant à la voie qu'il me faut suivre ? quant à la voie sur laquelle il vaut mieux m'engager ? et celle dont je dois m'éloigner ?
Que fait Christ entre l'autre et moi dans mes relations interpersonnelles ? Il pardonne ses péchés. Il m'invite à les lui pardonner, à en accepter la conséquence sur moi, à considérer que les limites imposées à notre relation par l'action du mal en l'autre font partie intégrante de la honte et de la souffrance de la croix que je porte par décret divin, comme Christ portait la sienne dans la joie de l'obéissance et de la foi. Christ entre l'autre et moi me donne aussi le courage de le reprendre lorsque cela s'avère nécessaire, de le confronter lorsqu'il se protège, par ex. par son agressivité, d'une relation saine d'avec moi.
Que fait Christ entre la réalité et moi ? Il m'aide... Il me fortifie... Il me convainc... Il produit la foi... Il nourrit la confiance... Il pointe en direction de la réalité au-delà des apparences. Il m'aide à ne pas être séduit par les apparences trompeuses qui se superposent à la réalité-même de ce qui est. Il agit ainsi de par l'intérieur de moi comme un guide, comme une intuition, comme un sentiment, comme une conviction, comme une aspiration vers une chose plutôt que vers une autre, vers une interprétation d'une réalité, d'une situation, d'un sentiment intérieur, plutôt que vers une autre interprétation de l'être.
De quoi me convainc-t-il ? De mon identité en Lui de fils du Roi, de prince du Royaume des cieux et d'héritier des promesses éternelles de Dieu mon Père. Ces promesses sont faites et scellées par Celui-là même qui soutient mon être, par Celui dont je tire la vie, par Celui sans lequel rien n'existerait ni n'existe, l'Éternel, l'Être des êtres.
Il me guide aussi par son Esprit en moi. Il conduit mes pas en obéissance à sa Parole. Il oriente mes choix par son Esprit en moi et par la Parole de l'Esprit renouvelant mon intelligence, ma compréhension, m'aidant à discerner entre ce qui est mal et ce qui est bien, entre ce qui est juste et ce qui est injuste, entre la désobéissance et l'obéissance.
C'est ainsi que Jésus, le Christ, constitue à la fois le point de départ et le point d'arrivée, le début ultime et la fin ultime, l'alpha et l'oméga, pour la réalité cosmique universelle comme pour la réalité intime et personnelle concernant chaque être dont moi. C'est ici que s'inscrit la parole de Jésus disant « Je suis […] la vérité […] » (Jean 14 v. 6). Entre toute réalité, cosmique ou intime, et moi, il y a Jésus, le Christ, dont l'Esprit réside en moi.
Il me guide : « Je suis le chemin […] » (Jean 14 v. 6). Ses voies sont droites. Il me dynamise : « Je suis […] la vie » (Jean 14 v. 6). Sans Lui je ne suis rien. Je nais par Lui au sens où mon esprit prend vie. Je vis par Lui au sens où il me soutient, me conserve vivant et dans son Esprit, dans la vie de son Esprit. Je vis pour Lui au sens où il mobilise mes énergies dans une action juste, une action bonne, une action édifiante, une action constructive. De Lui je tire la motivation d'agir, de travailler, de me reposer, de donner, de recevoir. En Lui je puise le discernement qui m'aide à discriminer entre la multitude de possibilités qui s'offrent à moi dans les moments intimes du jour, de la nuit, dans les orientations de vie qui, de temps à autre, exigent de faire un choix dont les retombées seront déterminantes.
Si le Christ est ainsi le point de départ et le point d'arrivée de la spiritualité chrétienne tout autant que le parcours entre l'un et l'autre, la Bible, la Parole de Dieu, en constitue le point d'ancrage. Tout ne peut être déterminé par la seule force de l'œuvre de l'Esprit en moi. La Parole de l'Esprit constitue le point d'ancrage de mes intuitions, comme aussi mes circonstances de vie en constituent le cadre, le territoire, le domaine d'intervention, le champ d'action, la sphère d'activité et de responsabilités. L'un n'agit pas sans les autres en spiritualité chrétienne telle que je la comprends aujourd'hui. L'Esprit me guide par trois voies complémentaires : de l'intérieur de moi, par sa Parole révélée, et par ou dans mes circonstances de vie. Jamais il ne me permet de me soustraire à l'application d'un discernement prenant en compte ces trois voies. Le renouvellement de l'intelligence dont parle Paul en Romains 12:1-2 présuppose l'intégration de l'une et l'autre des trois voies que sont la Parole, l'Esprit en soi et les circonstances qui sont les nôtres.
Donner à autre que Christ la place centrale de la spiritualité chrétienne entraîne inévitablement une distorsion. Si la Bible devient le centre au lieu de la référence, le centre plutôt que l'ancrage et l'appui, il y a distorsion. Une forme de cette distorsion conduit au légalisme ou le constitue peut-être. Si l'expérience occupe la place centrale plutôt que le cadre ou le contexte de la spiritualité chrétienne, il y a distorsion également. Cela me semble rejoindre ce que dit aussi Neil Anderson, dans The Core of Christianity, sauf qu'il élabore davantage que je viens de le faire ici en démontrant que plus l'on se rapproche de Christ plus le dialogue entre nous devient possible malgré nos divergences.
Par le terme « expérience », j'entends ce qui correspond à l'ensemble des « circonstances de vie » qui furent les miennes, tout en y intégrant les choix que j'ai faits au fil des ans, et les motifs qui m'ont guidés. Plus précisément, ce que je tente d'exprimer est ceci : l'expérience est ce que j'ai fait de mes circonstances de vie, par mes choix, mes actions, mes négligences, mes erreurs, mes motifs, par la compréhension que j'en avais, par l'interprétation que j'en faisais.
C'est Christ, par son Esprit en moi, qui constitue le centre de la spiritualité chrétienne, non pas l'expérience ou les circonstances, ni même la Bible, toute Parole de Dieu qu'elle soit.
Cette façon d'exprimer ce en quoi consiste pour moi le noyau dur de la spiritualité chrétienne intègre l'intériorité à la foi chrétienne. Cette dimension vous paraît-elle, comme à moi, vitalement importante ? Comment vous y prenez-vous pour intérioriser votre foi chrétienne ? Pour la vivre de l'intérieur ? Comment faites-vous le passage entre l'intériorisation de la foi chrétienne et son extériorisation ? Sa manifestation concrète dans l'obéissance à Dieu et le service pour Lui?
Adapté de Comment donc comprendre la Bible aujourd'hui ?, p. 110-114; aussi accessible sur Que penser de la Bible ?.
Lectures suggérées : l'évangile de Jean et les épîtres aux Romains, aux Éphésiens et aux Hébreux.