La pandémie de coronavirus nous déstabilise et bouleverse nos projets, mais elle soulève également des questions théologiques profondes : qui est à l’origine des grands malheurs qui nous frappent ? En effet, la lecture du livre de John Piper, qui vient tout juste d’être rendu disponible en français, Le coronavirus et le Christ ? Le coronavirus et le Christ?, a conduit un membre du groupe des seniors de l’Église vie abondante de Québec à poser cette question :
J’ai toujours cru que la maladie provenait de l’ennemi depuis le péché originel, donc ne viendrait pas de Dieu, mais qu’il le permettait. Mais le livre de Piper dit :
« Le coronavirus a été envoyé par Dieu. C’est une saison amère et Dieu l’a ordonné. Dieu la gouverne. Il y mettra fin ». Donc j’étais dans l’erreur tout ce temps ?
Ma réponse porte sur les deux premiers de trois volets : les désastres dans nos vies en général ; la compréhension de Joseph des désastres dans sa propre vie ; la maladie comme un désastre parmi d’autres désastres dans nos vies et dans celles de tout être humain. Le troisième volet ne sera pas traité ici, mais pourrait être l’objet d’un article à part entière. J’estime toutefois que le présent article peut fournir des éléments de contexte théologique à prendre en compte dans l’éventuelle formulation d’une réponse à la question posée.
Table des matières
Les désastres dans nos vies
Les désastres dans nos vies prennent diverses formes. Le plus souvent, bien peu de gens savent ce qui se passe réellement dans notre propre vie, car nous ne pouvons en parler. Les pires situations que nous vivons au plan personnel sont souvent de cette classe-là. Or lorsqu’une catastrophe touche la planète tout entière, comme la présente pandémie, tout le monde fait face à la même chose en même temps, nous pouvons librement en parler.
Mon attitude face à la pandémie du coronavirus est la même que pour les souffrances vécues à diverses périodes de ma vie et dont je ne pouvais parler qu’à un cercle restreint. Mon parcours vers la posture que j’adopte aujourd’hui est le résultat d’un cheminement qui n’a pas été rectiligne. Il y a eu des périodes de ma vie où les difficultés ou épreuves auxquelles je faisais face ne cadraient pas avec ma compréhension de la foi chrétienne.
Je ne comprenais pas pourquoi tout allait bien dans un domaine, mais mal dans un autre, alors qu’à mes yeux, Dieu aurait pu faire en sorte que tout aille bien pour moi partout, surtout que je croyais obéir à sa Parole et croyais lui faire confiance en toutes choses. J’ai traversé ces périodes en adoptant des postures de vie distinctes, dont voici un résumé :
Quatre mouvements ont caractérisé mon engagement chrétien au fil des ans : (1) d’abord, un espoir sans bornes ; (2) ensuite, une attitude d’exigence envers Dieu ; (3) suivie d’un découragement profond face à moi-même ; (4) puis, enfin, depuis 2008, une période d’intégration spirituelle où je goûte à la vie abondante.
C’est dans le cadre de ce dernier mouvement que j’ai appris à jouir du calme intérieur accessible à celles et ceux qui placent leur confiance dans le Seigneur Jésus-Christ (extrait de l’article intitulé La grâce de Dieu à l’œuvre dans ma vie).
Ma réponse à la pandémie en cours résulte d’un parcours de vie où j’ai trouvé des réponses satisfaisantes à un certain nombre de questions sur qui est Dieu et comment il agit. Parmi ces réponses : je sais que Dieu m’aime ; je sais qu’il aime mes proches ; je sais qu’il aime tous les gens de mon entourage, même ceux qui me paraissent peu aimables ; je sais qu’il aime tout autant les personnes qui contreviennent le plus sévèrement à ses voies. Je sais aussi qu’il est préférable de m’en remettre à Dieu dans une attitude de confiance plutôt que de chercher des explications rationnelles concernant les malheurs qui arrivent. Les deux livres suivants m’ont aidé à faire le point sur cette dernière dimension :
- T. Keller, La souffrance — marcher avec Dieu à travers les épreuves et la douleur ;
- John Piper, Le coronavirus et le Christ ?
Keller et Piper se complètent dans leur manière d’aborder les difficultés qu’ils traitent. Mais tous deux considèrent que le mal dans le monde n’est pas un accident dû au hasard. D’une manière mystérieuse, elles reflètent aussi la bonté, la justice et la grandeur de Dieu. Lorsque nous avons mal, Dieu a mal. Dieu a choisi de souffrir en Christ sur la croix. Le plan de Dieu intègre la souffrance. Il a choisi cette voie plutôt que tout autre.
La compréhension de Joseph des désastres dans sa propre vie
Une belle illustration de cela se trouve dans la manière dont les traducteurs de la Bible du Semeur ont résolu les complexités du texte hébraïque pour Genèse 50.20.
Vous aviez projeté de me faire du mal, mais par ce que vous avez fait, Dieu a projeté de faire du bien en vue d’accomplir ce qui se réalise aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux (Genèse 50.20, Semeur).
Mais, direz-vous, comment se fait-il que la Bible que je lis habituellement ne semble pas dire exactement la même chose ? À titre d’exemple, la traduction suivante :
Vous aviez projeté de me faire du mal, Dieu l’a changé en bien pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux (Genèse 50.20, Segond 21).
Il est nécessaire de comprendre que le verbe projeter utilisé deux fois dans la traduction Semeur est le même verbe dans l’original de langue hébraïque. Le principe de traduction adopté par la Bible du Semeur permet d’ajouter par ce que vous avez fait pour mieux capturer l’intention du texte originel, alors que l’approche de traduction adoptée par Segond invite à faire le moins de modifications possibles au texte, ce qui, dans ce cas, consiste à utiliser un verbe différent pour la deuxième occurrence du même verbe, car « Dieu l’a projeté en bien » ne fait pas partie des options possibles en français écrit normal.
Le dilemme de traduction évoqué ci-dessus peut être résolu par une simple lecture suivie du récit duquel est tiré le verset dont nous venons de parler, soit Genèse 37 à 50. Joseph était celui des fils de Jacob que son père préférait, aussi les frères de Joseph éprouvaient-ils de la haine à son égard. Après s’être demandé s’ils ne le tueraient pas, ils ont plutôt décidé de le vendre en esclavage à des Égyptiens. Voici ce que Joseph dit de nombreuses années plus tard, lorsque ses frères se rendent en Égypte pour se procurer des vivres :
Il dit à ses frères :
— Je suis Joseph ! Mon père est-il encore en vie ?
Mais ses frères étaient incapables de lui répondre tant ils avaient peur de lui.
Alors Joseph leur dit :
— Venez près de moi !
Ils s’approchèrent.
— Je suis Joseph, leur dit-il, votre frère, que vous avez vendu pour être emmené en Egypte. Et maintenant, ne vous tourmentez pas et ne vous accablez pas de remords de m’avoir vendu comme esclave. C’est pour vous sauver la vie que Dieu m’a envoyé devant vous. Car voici deux ans que la famine sévit dans ce pays et pendant cinq ans encore, il n’y aura ni labour ni moisson. Dieu m’a envoyé devant vous pour vous faire subsister sur la terre et vous garder la vie, par une très grande délivrance. C’est pourquoi ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, c’est Dieu. Et il m’a élevé au rang de « Père pour le pharaon », faisant de moi le maître de toute sa cour et le dirigeant de toute l’Egypte. Retournez donc au plus vite auprès de mon père et dites-lui : « Ton fils Joseph te fait dire ceci : Dieu m’a établi maître de toute l’Egypte ; viens auprès de moi sans tarder (Gen 45.3-9, Semeur).
Puis, encore, quelques années plus tard, lorsque leur père Jacob est décédé :
Maintenant que leur père était mort, les frères de Joseph se dirent :
— Qui sait, peut-être Joseph se mettra à nous haïr et à nous rendre tout le mal que nous lui avons fait.
Alors ils lui envoyèrent un messager pour lui dire :
— Avant de mourir, ton père nous a donné cet ordre : “Vous demanderez à Joseph : Veuille, je te prie, pardonner le crime de tes frères et leur péché ; car ils t’ont fait beaucoup de mal. Oui, je te prie, pardonne maintenant la faute des serviteurs du Dieu de ton père.”
En recevant ce message, Joseph se mit à pleurer.
Ses frères vinrent en personne se jeter à ses pieds en disant :
— Nous sommes tes esclaves.
Mais Joseph leur dit :
— N’ayez aucune crainte ! Suis-je à la place de Dieu ? Vous aviez projeté de me faire du mal, mais par ce que vous avez fait, Dieu a projeté de faire du bien en vue d’accomplir ce qui se réalise aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux (Genèse 50.15-20, Semeur).
La compréhension qu’a Joseph de ce qui est arrivé tout au long de sa vie intègre le mal qui lui a été fait par ses frères au plan souverain que Dieu avait pour lui. Il est clair aux yeux de Joseph que c’est Dieu qui est la cause ultime de son séjour en Égypte, non pas ses frères. Joseph ne fait pas semblant que ses frères n’ont rien fait de mal. Mais pour Joseph, leur méfait faisait partie de la manière dont Dieu a agi pour produire un bienfait inattendu.
En conclusion : la maladie ne fait-elle pas partie des désastres ?
Bien que je n’ai pas abordé directement la question posée au début du présent article concernant la source ultime de la maladie. Je le soumets à titre de cadre général d’interprétation théologique à prendre en considération dans une réflexion sur la maladie et la mort. J’aimerais donc conclure avec la question suivante : la maladie — et la mort — ne peuvent-elle pas être considérées comme des désastres parmi d’autres désastres ?
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Daniel Garneau
Publié le 23 avril 2020.
Révisé à l’aide d’Antidote le 10 mai 2021.